Féminicides en Afrique du Sud : symptômes de nouveaux rapports de pouvoir

En Afrique du Sud, les femmes, en particulier les jeunes Noires pauvres et les lesbiennes, risquent quotidiennement de se faire violer ou tuer. Plus qu’ailleurs. Ce constat fait écho à une situation d’impuissance de l’État. En effet, la mondialisation transforme les rapports de pouvoir par l’accélération et la surenchère des échanges et pousse les dirigeants sud-africains à une position de repli. Confrontés à une crise multiforme, ils recourent à une rhétorique traditionaliste et masculiniste. L’appropriation individuelle et institutionnalisée du corps des femmes devient alors le seul repère politique possible.

Capture d’écran 2014-03-21 à 17.46.20Selon la directrice du Medical Research Council,Rachel Jewkes, l’Afrique du Sud connaît le plus haut taux de viols au monde. En outre, le nombre de ces viols augmente chaque année. On constate désormais des féminicides, c’est-à-dire des assassinats organisés de femmes. Les éléments réunis dans ce dossier montrent que ces violences de genre sont liées à une situation de mondialisation contemporaine, surabondante, en excès, propice à des stratégies de défense collectives ou personnelles, voire étatiques, extrêmes.

Dans ce contexte, l’Afrique du Sud, modèle africain en titre, catalyse l’ensemble des tensions historiques adossées aux rapports de domination de genre, de classe et de « race », parce qu’héritière d’une histoire coloniale et ségrégationniste spécifique. Ces tensions y sont plus fortes qu’ailleurs tout comme les violences. Elles sont de plus exacerbées et accélérées par le déploiement rapide de la société dite de l’information, produit autant que productrice de cette mondialisation. Ses outils, les technologies de l’information et de la communication, en permettant la surenchère, la course à l’immédiateté et l’accélération des échanges tant financiers qu’économiques, humains qu’épistémiques (de savoirs, de connaissances, d’informations faisant sens), deviennent les piliers de cette société masculine insécuritaire.

 

Dans ce pays, l’institutionnalisation des violences et l’expression du masculinisme se montrent plus légitimes qu’ailleurs. Plusieurs questions se posent alors. Une première série permet de qualifier les nouvelles formes de rapports de pouvoir entre États, entre État et populations : en Afrique du Sud, en quoi et pourquoi les rapports sociaux de genre sont-ils exacerbés ? Pourquoi l’appropriation du corps des femmes est-elle accélérée ? Ce corps incarne-t-il le dernier espace de légitimité politique et économique de l’État ? Une deuxième série permet de comprendre la rhétorique masculiniste et traditionniste contemporaine de l’équipe au pouvoir et ses conséquences sur l’insécurité quotidienne des femmes : en quoi la mondialisation aiguise-t-elle les rapports de domination entre États et plus récemment en quoi l’Afrique du Sud et ses dirigeants se trouvent-ils au carrefour d’une concurrence accélérée de pouvoirs ?

 

En répondant à ces questions, on aboutit à la conclusion que les féminicides en Afrique du Sud sont le résultat d’un croisement qui fait surenchère entre aggravation de l’impuissance de l’État sud-africain et accélération/« modernisation » des rapports de pouvoir. Ces féminicides et plus généralement l’ensemble des violences de genre forment alors système et mettent en péril la politisation des Sud-Africaines et de leurs organisations. Entre radicalité et impuissance, débordement et mutisme, lutte contre le patriarcat et course à la sécurité, les mouvements de femmes sud-africains ont peine à trouver le temps et l’espace de leur expression.

 

Joelle Palmieri

Décembre 2011