Vous n’avez pas vu ce film italien du début des années 1970 ? Vous n’en gardez qu’un souvenir très lointain ? Il annonçait pourtant les années de plomb dans un pays gangrené par la corruption et l’obscénité du pouvoir des élites. Le personnage principal, interprété par Gian Maria Volonte, chef de la section criminelle de la police, se sentant humilié par sa maîtresse, l’assassine, et oriente alors l’enquête sur lui. Promu à la tête de la division politique de la Sûreté de l’État, mégalomane, schizophrène, il tient à faire la démonstration de son impunité absolue. Il joue de sa perversité au point de contaminer une oligarchie, construite pour asseoir l’autorité des dominants sur les dominés, le tout au mépris de toutes les lois. La situation, rythmée par la musique d’Ennio Morricone, se veut cruelle, absurde tout autant qu’outrageusement injuste.
Cela ne vous rappelle rien de plus contemporain ? Certes, jusqu’à preuve du contraire, François Fillon n’a tué personne mais, dans le rôle de l’homme politique, tout à la fois servile et au dessus des lois, méprisant tout ce qui n’est pas de ses classe, caste, religion, sexe, race, un tantinet vicieux, il pourrait prétendre à la palme (le film a reçu prix spécial du Jury au Festival de Cannes 1970). Juste à côté de lui, Marine Le Pen, différente par son sexe biologique, digne héritière d’une dynastie aux ambitions suprêmes et aux psychés tumultueux, baisse par un tour de magie la barre du soupçon au niveau de la justice et des fonctionnaires, un ensemble homogène à combattre. Son but : sauter plus vite au-dessus, comme notre héros. Un peu plus loin, mais dans un style beaucoup plus décomplexé – est-ce possible ? –, Donald Trump, auquel on pourrait attribuer tous les traits de caractère du flic du film, a réussi en moins de quatre mois de pouvoir souverain, à refaire l’histoire en inventant de toutes pièces des actes terroristes, à ériger des murs réels et douaniers, dans le but d’éloigner les Autres – étrangers, fauteurs de trouble – de « l’Amérique », à promettre l’augmentation des dépenses militaires déjà les plus élevées du monde, à interdire le choix des toilettes pour les transgenres. Conséquence : les croix gammées refleurissent sur les murs des villes, les chants xénophobes s’entonnent sur les campus, les crimes racistes augmentent – de 6500% dans le Michigan –, les profanations des tombes juives refont surface, les actes homophobes se multiplient et Trump est blanchi de ses crimes sexuels. L’heure est à la suprématie blanche, hétérosexuelle, masculine.
Pour mémoire, peu après la sortie du film, il y a donc 47 ans, les citoyens descendaient dans les rues pour dénoncer les dérives autoritaires des États sans scrupules, en Italie, en Allemagne, en France, aux États-Unis, et des groupes radicaux décidaient d’entrer dans la clandestinité, afin de dénoncer les injustices sociales et la corruption des élites, de révéler les restes fascisants des sociétés occidentales post-Guerre mondiale et passer à l’action directe. Ce fut leur choix, dans ce contexte donné, vingt-cinq ans après la IIe Guerre Mondiale, et très peu de temps après les guerres d’indépendance. Ce type d’action a depuis été bien débattu. Alors nous, maintenant, ici, ailleurs, on fait quoi ? On va déposer un bulletin de vote dans une urne ? Suffisant pour dénoncer le populisme ambiant et inscrire cette triste époque dans les mémoires ? Allons…
Joelle Palmieri
2 mars 2017
Bonjour Joelle
je pense que nous avons des différences dans l’appréciation des événements passés
mais la nouvelle version du texte me parait plus équilibrée
mais devant les incapacités ou compromissions de la gauche d’émancipation
à la juste question :
« Alors nous, maintenant, ici, ailleurs, on fait quoi ?
On va déposer un bulletin de vote dans une urne ?
Suffisant pour dénoncer le populisme ambiant et inscrire cette triste époque dans les mémoires ?
Allons… »
je crains que certain-ne-s ne choisissent des voies minorisantes, clandestines justement,
alors que se pose la construction de désobéissances collectives publiques
de refus, et d’actions « perturbantes » de la bonne marche des affaires
et je continue à réfléchir sur ce sujet
amitiés
Didier
Blog : http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/
Bonjour,
Merci de lancer cette discussion.
Dans notre contexte actuel, pour le moins populiste, il me semble que nous sommes en manque d’alternatives politiques, aussi bien dans la pratique que dans la théorie.
Loin de faire l’apologie des années de plomb, je pose la question de la contextualisation des luttes vis-à-vis d’oligarchies à chaque fois désinhibées, banalisées, plutôt bien accueillies par une majorité blanche masculine hétérosexuelle, en manque de repères. Je pose également et comme toujours la question de la mémoire, pour rappeler qu’on ne pourra pas dire « on ne savait pas ». Je m’interroge sur la dépolitisation générale des mouvements, sur l’institutionnalisation du « collectif », de la promotion du « bien commun ».
Alors, oui d’accord pour les désobéissances collectives, les refus, les actions « perturbantes » à l’ordre établi, mais non aux dogmes, cadres, normes et instrumentalisations de toutes sortes.
oui pour réfléchir ensemble
Joelle