Victime, un singulier dominant

IMG_0647_2Il existe des individus (éléments sociaux délimités) qui sont d’emblée désignés par d’autres individus, par définition distincts, comme victimes, de la pauvreté, du manque d’éducation et de soins, de la violence, et qui appelleraient à aide, soutien, appui. Ces victimes (au pluriel) sont généralement prises comme un groupe homogène et ne sont alors plus considérées comme sujets, mais comme objets de la 2e catégorie d’individus, le plus souvent regroupés en institutions (agences de l’ONU, ONGs, tribunaux, médias…). Cette seconde catégorie serait la seule en capacité de décider des solutions à trouver ou des savoirs à mobiliser pour faire face à la souffrance générée par la situation de victime. Option paternaliste pour le moins, subalterniste le plus souvent quand la première catégorie se situe hors Occident. Dans cette option, les victimes, non sujets, n’ont pas d’existence propre puisque leurs savoirs, liés à leur situation, ne sont ni sollicités, ni pris en compte, ni visibilisés (voir exemple sud-africain). Elles sont censées attendre patiemment qu’« on » (la 2e catégorie) rende justice à leur place. Cette promesse – que la justice leur soit rendue et que l’auteur de la situation de victime soit puni – n’est pas entre leurs mains, mais sous-traitée. Cette sous-traitance est accrue quand l’entreprise de victimisation bat son plein, c’est-à-dire quand l’objectivisation de l’individu, victime, et donc privé de sa liberté, l’écrase jusqu’à effacer sa subjectivisation, voire l’efface tout à fait (mort/élimination).

Et il y a d’autres individus qui s’autoproclament victimes, du « système », de la « violence » commise par l’autre, de l’« autre » plus simplement. Au singulier. Cette 3e catégorie d’individus reste sujet de son histoire et de son existence car elle décide des arguments à développer, des stratégies à mettre en œuvre, pour obtenir réparation, ou « se défendre » d’une situation dont elle reste au cœur, acteur, auteur, en pleine conscience. La partie à jouer demande interprétation du rôle de victime et donc représentation de ce rôle. Le savoir se situe moins dans le vécu (expérience réelle de la brutalité par exemple) que dans son élaboration, sa translation. La quête de réparation est directe, en alliance avec les institutions (2e catégorie), libéralisée, et est placée en avant-scène d’une « tragédie » ou d’un « drame » en train de se vivre. La victimisation joue ici une partition qui consiste à transposer le réel en des imaginaires idéologiques, construits, visant à valoriser ladite victime. Celle-ci est un sujet politique, porte-parole, bien vivant, d’une structure sociale réactionnaire et d’un système abouti de dominations multiples et concomitantes.

Il n’existe donc aucune équivalence entre la 1re et la 3e catégorie de victimes. L’utilisation du filtre objet/sujet dans la comparaison est éclairante. Dans un esprit simplificateur et volontairement provocateur, je pourrais dire que les femmes seules à élever leurs enfants, agressées, violées, tuées en raison de leur sexe, entrent dans la 1re catégorie alors que les hommes « quittés », harceleurs, violeurs, assassins, présentant des « troubles psychologiques », entrent dans la 2e catégorie. L’inverse n’est pas vrai. C’est-à-dire qu’une femme qui tue un homme qui la harcèle, l’agresse, la brutalise, restera un objet : perverse, folle, aliénée, malmenée par les institutions judiciaires. Le trouble n’a pas davantage sa place. C’est-à-dire que la confrontation non hétérosexuelle générée par certaines situations de violence, faisant brutalité et donc victimes, n’existerait pas. Autant dire que les victimes masculines d’agressions homophobes entrent dans la 1re catégorie. Elles sont objets.

La célèbre « hystérie féminine » a encore de beaux jours devant elle tout comme le masculinisme qui structure l’ensemble des institutions. L’actualité française est à ce point navrante – affaire Jonathan Daval – que les débats qu’elle suscite demanderaient à être nourris de réflexions sur les rapports de domination, sur les disqualifications arbitraires de certaines morts/crimes (tous milieux confondus : privé et public dont le travail), dans le but de s’extraire du registre de la défensive, lui-même partie intégrante des stratégies offensives de domination.

Joelle Palmieri
2 février 2018

Une réflexion au sujet de « Victime, un singulier dominant »

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