No limit

IMG_4491Je suis désolée, mon mari ne me bat pas. Je suis désolée, la milice ou le corps d’armée du coin où je vis ne me gaze pas. Je suis désolée, je sais lire. Je suis désolée, je mange encore à ma faim. Je suis désolée, la fracture numérique ne m’a jamais frappée. Je suis désolée, la non indemnisation de mon chômage ne me fait pas taire. Je suis désolée. Je ne suis pas une femme victime. Pas star non plus. Je suis une femme, normale ? Si bien que je n’apparais pas dans les journaux. On ne parle pas de moi. On ne s’intéresse pas à mon cas. Femme normale. Pas victime. Pas instrumentalisable. Pas une bonne cause pour décider d’une guerre. D’une offensive. D’une aide, d’un soutien à apporter. D’une bonne raison pour ne pas dépasser une limite. Je ne suis pas de celles-là. Si peu nombreuses et pourtant, autant montées en épingle. Les femmes victimes. Au rang de mineures civiques. De subalternes. Bien utiles quand on en a besoin, notamment pour faire marcher l’industrie militaire française ou américaine. Concernant l’attaque au gaz sarin en Syrie, les services de renseignement français ont écrit « La moitié des victimes sont des femmes et des enfants », sans préciser « tout confondu », c’est-à-dire que l’autre moitié était composée intégralement d’hommes… L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) aurait pour sa part recensé « 502 morts, dont 80 enfants et 137 femmes », soit moins d’un quart de femmes parmi les victimes. Alors, pourquoi mettre les femmes en avant parmi les victimes ? En agissant ainsi, tous ces organismes, d’État, médiatiques, scientifiques, font d’une pierre deux coups. Ils font vibrer et alimentent les cordes patriarcales et belliqueuses, pour ne pas dire couardes, de mon voisin et ils me font disparaître, ne me nomment pas. Alors je deviens à mon tour subalterne. Par omission. Comme par effet décalcomanie. Mon existence n’est pas reconnue. Mon savoir pas davantage.

Au final, femme égale victime. Femme victime vaut guerre. Femme gazée vaut limite à ne pas franchir. Tout le reste, tous les autres génocides, y compris les féminicides en cours, notamment en Afrique du Sud ou au Mexique, ne méritent pas qu’on s’y intéresse, encore moins qu’on négocie les termes des sanctions à opposer, et surtout le contexte de leurs genèses. C’est dégueulasse.

 

Joelle Palmieri – 9 septembre 2013

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