Peshawar. 16 janvier 1991. 2h du matin. Les premières bombes américaines drainées par la Tempête du désert tombent sur ma tête. Le son de ces engins meurtriers me tétanise. Pas de téléphone mobile. Pas d’Internet. Téléphone fixe réservé aux communications avec le consulat français, censé assurer ma protection. Coupée du monde. Je tournerai en rond dans cet appartement à la frontière pakistano-afghane à en devenir folle. Neuf jours. Un infini. Chaque détonation est un enfer, synonyme d’enfermement, d’impuissance. Les portes s’ouvrent enfin pour moi. Française. Je file sur Karachi vérifier les contours de ma liberté.
Paris. 20 septembre 2001. Une heure. La justice mondiale se veut sans limite. La mienne s’arrêtera aux marges de l’éditorial que je publierai sur le web pour dénoncer la coalition militaro-industrielle occidentale. Convocation d’urgence au Conseil régional Île-de-France sur la demande des élus Front national. Fustigée, diffamée, je perds l’espace d’une heure la subvention que j’avais obtenue pour l’agence de presse féministe dans laquelle je milite. J’ai été trop loin dira l’ensemble des conseillers réunis (FN, UMP, PS) à l’exception des Verts.
Néoules. 13 novembre 2015. 23h. Les dépêches tombent sur mon smartphone et je les lis médusée. Le lendemain, à 10h deux avions de chasse Rafales passent au dessus de ma cour. Ligne aérienne Istres/Moyen-Orient. J’imagine. Mon mutisme se transforme en terreur. Ce bruit assourdissant et si fulgurant ruine mon système de pensée. J’ai peur. Peur de la surenchère, guerrière, meurtrière. À coups de SMS, je me défoule en demandant à tout va des nouvelles à mes pot’s parisiens. Ils vont bien. Je m’apaise. Et alors je me remets à penser.
24 ans ont passé depuis la 1re guerre d’Irak. De quoi créer une génération de kamikazes animés par la haine, fruit du mépris, de la peur, du néant quotidiens. Une génération qui s’engouffre dans les TIC et les armes de guerre pour mieux exprimer leur non-existence. Le bruit des rafales de mitrailleurs, des bombes, des insultes policières et racistes, des injonctions des matons, du silence occidental sur le réel périphérique (hors Occident) est remplacé par celui des images animées et des non-phrases des réseaux sociaux numériques. Des contrôlés d’ici entendent devenir les contrôleurs de l’Occident. Au nom d’une religion que leurs parents ne connaissent pas ou ne montent pas en épingle. Les cerveaux mutent. Se creusent. Se vident. Au point de ne plus donner consistance au mot liberté. Pour soi, pour l’autre. Le fascisme quotidien continue sa progression.
Ma peine est profonde. Je décide de continuer à voir loin, à lire et écrire, à rêver, à croire en l’autre, à apprécier sa saveur, seul moyen de me battre pour la liberté que ces jeunes neuroleptisés n’ont pas et leurs victimes n’ont plus.
Joelle Palmieri
19 novembre 2015
4 réflexions au sujet de « Bagdad-Paris : une génération de contrôlés-controleurs »