En ces temps d’épidémie où à peu près tout le monde ici et ailleurs, dans à peu près tous les secteurs – privés, publics, associatifs, militants –, se retrouve confiné.e et s’engouffre dans le numérique pour travailler, acheter, organiser, échanger, enseigner, débattre, voire alimenter le changement social… la question de fournir gratuitement des informations personnelles ou collectives à des entreprises privées semble absente. Amazon, Google Drive, WhatsApp, Facebook, Zoom,… la liste est longue des logiciels des GAFAM par lesquels nos données sont confiées en toute naïveté, indifférence, dépit ou ignorance. Pourtant ces entreprises offrent des conditions de travail très discutables à leurs employé.es, s’enrichissent chaque jour en faisant jouer leur cote en bourse, se veulent opaques quant à leurs politiques de confidentialité, de contrôle et de développement, et pour chacune sont dirigées par des jeunes hommes blancs riches hétérosexuels états-uniens, qui ne rechignent pas à le rappeler. Les GAFAM nous éloignent chaque jour de l’idée de démocratie et de la lutte contre les dominations (race, classe, sexe) avec notre complicité croissante.
Alors à quoi participons-nous quand on utilise ces services ? Quelles contradictions alimentons-nous ? Quelle éthique défendons-nous ? La majorité des réponses à ces questions converge vers un « on n’a pas le choix » ou encore « c’est quand-même facile à utiliser » ou bien « heureusement qu’on a ça ! ». De fait, la question de savoir si ces mêmes services sont proposés par des organisations moins acquises au grand capital, plus proche de la défense du bien commun, est ignorée ou écartée. Pourtant des alternatives existent.
Prenons l’exemple d’une toute dernière plateforme. FuturEtic dresse un inventaire des applications libres de droit, faciles d’usage et fournit des services non marchands. Sa mission : « FuturEtic vous propose des outils en ligne libres, éthiques, décentralisés, respectueux de vos données et de votre vie privée pour vous offrir une alternative aux GAFAM. Activé en réponse au confinement de novembre 2020, FuturEtic s’adresse en premier lieu aux structures de la région Centre-Val de Loire mais est ouvert à tout.e.s. Ces services sont proposés gratuitement et à terme dans un modèle économique solidaire pour en assurer la pérennité. » Allez donc jeter un œil : https://futuretic.fr/?fbclid=IwAR1-SI3dsBxGT4WRPheQ3BV-LIMO0RxEqTFYhXkgjaaEoO6_HfabaCgcB60. Vous trouverez des merveilles aux noms bien mignons : notamment jitsy à la place de Zoom, mobilizon à la place de Facebook, nextcloud à la place des outils Google…
Ensuite n’oublions pas les dinosaures du « libre » comme Framasoft, qui met à disposition du public une panoplie d’applications non propriétaires dans tous les domaines (bureautique, communication, éducation…), et des initiatives plus récentes comme les recycleries en ligne de livres, de vêtements, de bibelots… qui proposent des alternatives solidaires et autonomes (et pas seulement gratuites). Alors même si par « peur de décevoir » on peine à offrir de « l’occasion » (non-neuf) aux personnes qu’on aime ou par « peur de passer à côté » on ne s’engage pas à utiliser des logiciels moins connus de la majorité, un autre monde est possible.
Joelle Palmieri
16 décembre 2020
Bonjour,
Je partage votre démarche. Je crois donc important d’être aussi franche que possible. Comme vous, je pense que « la question de savoir si ces mêmes services sont proposés par des organisations moins acquises au grand capital, plus proche de la défense du bien commun, est ignorée ou écartée ». Elle l’est notamment par nombre de personnes qui s’opposent à la mainmise des GAFAM. Nous devons l’affirmer clairement : les alternatives *ne proposent pas les mêmes services* que les GAFAM. Pour le dire autrement, les GAFAM s’emploient à proposer des services qu’elles sont seules à pouvoir proposer. Elles utilisent leur force de frappe et leur situation d’oligopole pour *structurer* la demande, à la fois en termes de formulation des besoins et de traduction des besoins en demande. Résultat, les GAFAM sont les seules à répondre aux besoins ; d’où notre difficulté à être entendues.
Ce sont donc les « besoins » qu’il nous faut inviter à interroger dans une double perspective. Très en amont, que reste-t-il de notre libre arbitre dans les attentes que nous plaçons dans le « numérique » ? Et à l’autre bout du continuum marchand, en quoi la possibilité d’envoyer un pièce jointe de 20 Mo dans un mail est-elle l’expression nécessaire de nos attentes, quelles qu’aient pu être l’influence exercée par les GAFAM et plus généralement le rapport marchand ?
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, commencer à faire entendre une autre voix impose de déconstruire des dogmes ayant le acquis le statut d' »évidences » à force d’être martelés en continu, depuis des décennies…
Mettre le doigt sur des contradictions éthiques flagrantes est un bon moyen d’attirer l’attention sur des sujets habituellement perçus comme allant d’eux-mêmes ou secondaires. Pourtant, faire l’économie d’inviter à un questionnement de fond ne peut qu’accroître le décalage entre celles qui s’efforcent de contrer le mode vie qui va avec les GAFAM et celles qui concèdent de s’acclimater aux GAFAM. Très pratiquement, dans mon expérience, les premières finissent invariablement par passer pour des emmerdeuses auprès des secondes, plus ou moins sympathiques, plus ou moins excusables selon les espaces-temps de sociabilité qu’elles habitent et les gages qu’elles donnent par ailleurs.
Flaz