On va leur demander des comptes. Publiquement. Sur leurs sous. Sur leurs dépenses. Leurs extras. Très bien. Et sur leurs extravagances ? Leurs choix ? Leurs origines sociales ? Les lieux qu’ils fréquentent ? Les milieux qu’ils s’autorisent ? Les réseaux d’affaires ou sexuels qu’ils créent ? L’âge, le sexe, l’identité sexuelle, la race, la classe des personnes qu’ils côtoient habituellement, institutionnellement, en famille, en dehors de ces cercles ? Ce qu’ils mangent couramment, pourquoi pas ? S’ils vont faire les courses ? Vont chercher les enfants à l’école ? Les emmènent à leurs activités diverses ? Rencontrent le conseiller d’éducation ? S’ils ont des domestiques ? S’ils font le ménage ? Font les comptes à la fin du mois ? S’ils l’ont déjà fait ? Ou vu faire ? S’ils ont déjà franchi la porte d’un Pôle emploi pour y aller pointer ? Si ils font des projets avec l’argent qu’ils gagnent…
Voilà. On ne leur posera pas toutes ces questions. On ne saura donc pas qu’ils sont majoritairement vieux, mâles, blancs, hétérosexuels, d’origine bourgeoise, urbaine, nés en Occident, pour ne pas dire en France. Qu’ils fréquentent globalement les mêmes, des vieux, mâles, blancs, hétérosexuels, friqués… et que l’argent pour eux ne sert pas à assouvir des désirs ou simplement à combler des besoins mais à asseoir un pouvoir. Ce pouvoir dont ils ne connaissent aucun autre contour. Comme si le pouvoir, ce qui est possible, ne l’était pas sans argent, beaucoup d’argent. C’est bas. Faible. L’argent vient ici se substituer à la créativité. Il sert de monnaie pour les échanges, humains ou de marchandises, éventuellement de pensée, à titre uniquement fiduciaire. Il n’existe pas d’imaginaire d’une monnaie d’échange qui serait spirituelle, intellectuelle, humaine, tactile aussi. Le pouvoir se mesure chez eux davantage à l’accumulation du blé qu’à celle du plaisir de l’instant ou des connaissances acquises à trouver les solutions pour sortir de la merde.
Cette vision du pouvoir est archaïque, aristocratique, et ceux qui veulent aujourd’hui la rendre publique en s’y prenant par le bout de la vérification des tickets de caisse participent de l’enfermement dans cet archaïsme. Ils amalgament argent, culpabilité, pouvoir, pour mieux nous faire avaler notre neuroleptique quotidien. On ne voit plus nous-même que par « la finance », « le pouvoir », « les salopards », comme si on n’en était épargnés ou comme si tout autre sujet n’était pas à l’ordre du jour. Pris au piège. Le pouvoir, c’est aussi chacun d’entre nous. En revanche, il y a des dominants, parmi lesquels on peut compter les fameux « salopards », mais aussi les vérificateurs de tickets. La domination n’est pas exclusivement financière et économique. Elle est aussi politique, sociale, différenciée selon qu’on est homme ou femme, selon l’identité sexuelle, selon qu’on est jeune ou vieux, immigré ou pas, urbain ou rural, et surtout hiérarchisée selon les savoirs. Les propriétaires des savoirs ne sont pas ceux que les dominants ont décidé qui en étaient. Autrement dit, qui dit qui sait ? A nous, de dire que nous savons. Nous savons nous bousculer pour sortir d’un cycle de violence. Nous savons nous organiser avec des voisines ou voisins pour ne pas courir sans cesse après le temps. Nous savons lutter quand cela s’impose.
Alors, cessons de nous laisser embarquer dans ces discours et mesures à l’emporte pièce. Et mesurons notre pouvoir quotidien. Exprimons notre créativité.
http://iknowpolitics.org/fr/2013/04/l%E2%80%99%C3%A9l%C3%A9phant-du-patriarcat-dans-les-partis-politiques