Fibromyalgie : à la loupe d’une patiente

IMG_5566Le vendredi 24 juin 2022 à La Roquebrussanne (Var), j’étais l’invitée du Sel’Issole au Moulin à huiles. Cette rencontre, ouverte à un public large, avait pour vocation de discuter de mon dernier ouvrage « La douleur impensée, autopsie féministe de la fibromyalgie, une “maladie de femmes” ». L’ambiance, une fois encore chaleureuse, a réuni un public motivé : des connaissances du canton et des personnes venues d’un peu plus loin pour partager leur expérience de la fibromyalgie. 

Pour celleux qui n’ont pas pu partager ces moments, retrouvez:

  • Mon intervention au format texte à lire ci-dessous

Fibromyalgie : à la loupe d’une patiente 

Pour une transformation des politiques publiques 

Je vous parle aujourd’hui en tant que patiente, atteinte d’une maladie chronique pas comme les autres, la fibromyalgie. Pendant cette intervention, je vais faire part de mon expérience de malade, en me focalisant sur :

  • ce qu’est la fibromyalgie, 
  • le parcours de soin difficile pour y faire face,
  • ce qu’il manque à la prise en charge de la maladie,
  • et ce qu’il resterait à faire pour améliorer cette prise en charge. 

J’utilise volontairement le terme « patient » qui est dérivé du mot latin patiens, signifiant « celui qui endure » ou « celui qui souffre », et pas seulement « celui qui attend ». J’utilise le féminin car la très grande majorité des malades de la fibromyalgie (entre 80% et 90%) sont des femmes. 

Je ponctue l’ensemble par des extraits d’un livre dont je suis l’autrice et dont je vous parlerai à la fin. 

QU’EST-CE QU’EST LA FIBROMYALGIE ? QU’EST-CE QU’ELLE N’EST PAS ? 

La fibromyalgie est une maladie très répandue et peu reconnue. 

Bien qu’en France, l’INSERM ait jugé que la douleur soit le symptôme prévalent de cette maladie, elle se caractérise par un éventail étendu d’autres symptômes dont : 

  • des déficiences physiologiques (douleurs diffuses sur tout le corps, fatigue, perte de mobilité, troubles du sommeil, nausées, maux de ventre…) 
  • des déficiences cognitives (troubles de la mémoire, du comportement, de la concentration…), 
  • auxquelles s’ajoute une avalanche d’émotions difficilement contrôlables (peur, colère, tristesse…). 

 » Je souffre […] de multiples symptômes, isolés ou conjoints : fatigue chronique, léthargie, sommeil sans repos, non réparateur, douleurs du rachis (cervicales, dorsales, lombaires, sacrum) et plus globalement douleurs spontanées, diffuses, mal localisées et lancinantes, des muscles, tendons et ligaments, troubles digestifs, douleurs abdominales, ballonnements, constipation, remontées acides, convulsions/myoclonies nocturnes non épileptogènes de la jambe gauche, bouffées de chaleur, sueurs froides, bouche sèche ou pâteuse, cœur déconditionné à l’effort […], ostéoporose, cataracte, presbyacousie et acouphènes […], et plus largement perte d’acuité des cinq sens (ouïe, vue, odorat, goût, toucher), hypersensibilité, sautes d’humeur, troubles cognitifs (perte de mémoire, difficulté à trouver un mot, à l’écrit comme à l’oral, difficulté à suivre une idée, à réfléchir, à me concentrer, à garder mon attention), […] à quoi s’ajoutent les angoisses de vieillir précocement, les anxiétés à faire un effort physique… 

Tous ces symptômes sont amplifiés en cas de : stress, 

  • de contrariétés,
  • de sollicitation inhabituelle ou en surenchère,
  • de situations de conflit,
  • d’abandon (désintérêt de la part de l’autre, rejet, insultes, jugements…), d’imprévus. 

Le tout est handicapant, invalidant et déshumanisant. 

La fibromyalgie est différente de la « douleur chronique » qui est associée à d’autres pathologies : cancer, rhumatismes, maladies neurodégénératives ou cardio- vasculaires… Son nom fait référence à la douleur (algo) des tendons (fibro) et des muscles (myo), ce qui trompe sur sa réalité car la fibromyalgie n’est pas une maladie rhumatismale. Elle n’est pas inflammatoire. 

La douleur dont on parle ici ne découle pas seulement d’une blessure, d’un accident, d’un trouble psychique, et n’est pas un symptôme d’une maladie chronique connue. Elle s’installe auprès de multiples autres symptômes qui forment une maladie chronique à part entière car elle occupe le centre du corps et de l’esprit. Elle n’est toutefois pas tout à fait comme les autres car cette maladie est « multi- symptômes ». C’est le cas de beaucoup d’autres maladies chroniques comme le Covid long ou les troubles de stress post-traumatique ou encore l’autisme, encore très mal prises en charge en France.

Elle touche de 1% à 4% de la population, dans la majorité des cas (plus de 80%) des femmes entre 30 et 50 ans. Dans la fourchette haute de l’estimation des personnes diagnostiquées en France, cela représente 2,6 millions de personnes, dont plus de 2,34 millions sont des femmes, soit une femme adulte sur dix, autant dire une par famille. Vous en connaissez sans doute. 

Des études récentes montrent que la fibromyalgie touche particulièrement : 

  • des personnes hypersensibles (bruit, odeur, luminosité…), 
  • « à hauts potentiels intellectuels » (« enfants précoces »), 
  • souvent trop concentrées sur leur activité cérébrale étendue pour se focaliser sur leur corps. 

Toutes les fibromyalgiques connaissent un parcours médical long et difficile. 

EN QUOI LE PARCOURS DE SOIN EST-IL DIFFICILE?

Je vais utiliser mon propre témoignage pour m’adresser aux autres malades mais aussi à leurs proches, aux soignants et à toute autre personne intéressée par les questions de santé. 

Il y a 20 ans, à un peu plus de 40 ans, je découvre la maladie. Cette découverte est terrible. 

 » J’ai mal partout, je suis fatiguée dès le réveil, voire épuisée en permanence au point de ne plus pouvoir vraiment marcher, de ne pas pouvoir rester longtemps assise ou debout, de ne plus dormir correctement. Toutes les parties de mon corps sont douloureuses. Chaque matin est le siège d’un épuisement qu’il me faut combattre. 

Devenus chroniques, ces symptômes sont regroupés par une équipe médicale pluridisciplinaire d’un hôpital parisien sous le terme générique de fibromyalgie. On est en 2004, soit seulement deux après l’apparition des symptômes (poser un diagnostic est souvent beaucoup plus long). 

Avant et depuis ce diagnostic, 

  • j’ai consulté trente professionnels de santé (médecines conventionnelle et complémentaires – complémentaire est l’adjectif choisi par l’OMS pour définir les médecines dites parallèles, douces, alternatives, du bien-être… ; l’organisation onusienne en reconnait 400, seules 4 d’entre elles le sont par l’ordre des médecins français –, 
  • j’ai fréquenté dix hôpitaux, 
  • je me suis rendue à mille consultations, 
  • j’ai passé cent-vingt examens, 
  • j’ai essayé cinquante traitements, 
  • j’ai reçu six mille séances de soin, physiologiques, psychologiques, énergétiques, etc. 

Côté allopathie (médecine conventionnelle), 

  • j’ai pris anti-inflammatoires, antidouleurs, antidépresseurs, opiacées, antiépileptiques,
  • j’ai subi des infiltrations de cortisone, des perfusions de kétamine… 
  • en parallèle de séances de kiné, de séances de stimulations électriques musculaires… (physiothérapie),

autant de traitements que j’ai abandonnés parce qu’inefficaces: ils n’ont pas infléchi mon état de santé plutôt délabré. Je suis, selon les médecins, « pharmaco-résistante ». 

Un an après le diagnostic, je fuis la banlieue parisienne où j’habite alors pour Dakar. Je me mets entre les mains d’une guérisseuse capverdienne. Pendant trois semaines elle pétrit mon corps à l’aloès, matin, midi et soir, elle le met en mouvement : je fais de longues marches alors que je ne bouge plus, ou encore des exercices physiques… elle me fait rire : on consacre une heure par jour à rire, ce qu’on peut appeler le yoga du rire. 

Je guéris: je n’ai plus mal nulle part, ne suis plus exténuée, re-bouge. Je rentre chez moi à Montreuil-sous-Bois, et je m’oriente immédiatement vers le micromouvement et ce qu’on nomme les thérapies du toucher (les massages et bien d’autres soins comme la fasciathérapie, le shiatsu)… 

Pendant quatre ans, je fais le choix d’associer chaque semaine 

  • une heure de gymnastique holistique (automassage, étirements, mise en mots de chaque partie du corps), 
  • à une heure de soin shiatsu particulier (soin énergétique basé sur la médecine traditionnelle chinoise) 
  • et à deux heures d’apprentissage de cette pratique. 

Je ré-apprends mon corps, ou plutôt je l’apprends, je l’appréhende avec d’autres personnes, en collectif, car nous travaillons en groupe ou en binôme. Un échange se met en place. 

Tout me met en lien, me sort de l’isolement. Alterner l’apprentissage des techniques et la réception de soins me permet de ressentir plutôt que de comprendre. 

 » En m’adaptant à l’état de l’autre au moment de l’échange, je découvre mon propre corps : ses muscles, tendons, os, articulations, liquides (eau, sang, lymphe…), systèmes, réflexes… En visant la réduction des tensions et autres blocages de mon alter ego, je réduis les miens. En étirant les muscles et tendons de son dos, de ses jambes, de ses bras, j’étire les miens. En respirant dans la respiration de l’autre, pour être plus efficace dans mon shiatsu, je réapprends à inspirer, à expirer. 

À travers ces expériences, je m’exerce au jeu de la relation entre éprouver et agir, entre savoir et faire, central à la gestion de la douleur car c’est en identifiant les différents symptômes, en les ressentant, en les prenant en compte que je peux agir contre ou tout du moins faire avec. À l’issue de ce traitement choisi, je connais une rémission totale. 

J’obtiens des diplômes en VAE. Je change de métier : de journaliste je deviens chercheuse.  En février 2010, soit 5 ans après le début de ce traitement personnalisé, je déménage à Mazaugues, puis en décembre 2011 à Néoules. Entretemps, je passe une thèse de doctorat en sciences politiques. Autant dire que j’étais en forme, tant ce parcours universitaire demande du travail, au moins intellectuel.

Malheureusement, faute de soins adaptés localement (je découvre ce qu’est un désert médical), je rechute. 

 » Faute de prévention, d’accompagnement, d’activités physiques régulières, de ressenti du toucher, d’échanges physiques ou intellectuels, la fibromyalgie vient peu à peu reprendre ses droits sur ma soif de changement. 

À peine installée en région PACA, un imbroglio administratif auprès de l’assurance maladie démarre. J’accumule les arrêts de travail et très vite, la CPAM du Var me classe en invalidité, si bien que mon niveau de vie baisse drastiquement. Parallèlement, avant de trouver une bonne prise en charge de ma maladie, j’essaie sans succès des techniques complémentaires en tout genre. 

 » Je tente encore une multitude de techniques, pratiquées en individuel à Néoules, dans ses environs et à Paris : énergétique taoïste, ostéopathie, massages tiuna et autres (californien, Brain Gym, Access Bars, etc.), sophrologie, naturopathie (pharmacologie chinoise), chamanisme, « magnétisme » par un guérisseur malien aveugle et réputé. Je suis spectatrice d’un opéra d’avis fragmentés, contradictoires, tantôt « habités » sinon guidés par la foi ou par les croyances toutes personnelles, voire mystiques, des praticien·nes. […] Je renonce à prendre quoi que ce soit, à la fois à cause du prix prohibitif des substances mais aussi par lassitude de ces avis contradictoires permanents. 

En parallèle, je continue à suivre des psychothérapies entamées dès le début de l’apparition de symptômes. Ces différentes thérapies (dont les TCC : thérapies comportementales et cognitives) me permettent de qualifier la maladie dont le langage non verbal n’est pas enseigné à l’école : j’apprends ainsi qu’il existe une contradiction entre ce qui est perçu par les autres et ce que je ressens, d’où un grand sentiment de déshumanisation : je me sens à l’écart des autres. 

Par exemple, 

  • le temps dont j’ai besoin pour gérer ma vie est souvent interrogé ; les blagues sur la sieste dont j’ai besoin sont monnaie courante ; on me compare en se moquant à une vieille ou à une feignante. 
  • J’investis de l’argent dans des soins non pris en charge par l’Assurance Maladie et cela est difficilement compris : les autres croient que je suis riche, rentière ou que des proches subviennent à mes besoins alors que ce n’est pas du tout le cas ; de fait, pour me soigner je suis amenée à faire des choix budgétaires stricts comme ne pas partir en vacances, ne pas sortir…
  • De la même manière, ils ne comprennent pas certains de mes comportements comme le besoin de jurer ou certaines sautes d’humeur, alors qu’il est scientifiquement prouvé que ces comportements font partie de la gestion de la douleur. 

Ce n’est que 4 ans après mon installation dans la région, en avril 2014, que je rencontre à Marseille, à 65 km de chez moi, un praticien shiatsu qui répond à mes attentes. 

J’opte enfin pour un menu qui me convient. 

 » Entre les praticiens, femmes et hommes, formés en six semaines, les touche- à-tout, les expérimentateurs, les mystiques, les sectaires, les intégristes, les militants du « bien-être », les pseudo-psys attachés au tout spirituel ou à la relation au cosmos, je fais un tri. Je vise l’efficacité : le Qi Qonq et la kinésithérapie [ciblée] chaque semaine, le soin shiatsu individuel, désormais deux fois par mois, et les TCC, aujourd’hui une fois tous les quatre mois. Mon état ne s’est pas amélioré mais il s’est stabilisé. 

Le shiatsu occupe encore une fois une place de choix dans cet arsenal, car le toucher me libère. Les lauréats 2021 du prix Nobel de médecine ne me contredisent pas. Leur découverte : le toucher influence le fonctionnement du système nerveux ; le tissu conjonctif, les fascias, les terminaisons nerveuses sont reliés au système nerveux central, qui gère le système polyvagal, qui sécrète ou diffuse les hormones cérébrales et donc favorise le le sommeil, la perception de la douleur et de la fatigue…. C’est aussi le sens (autre que vue, ouïe, gout, odorat) qui disparait le dernier dans le cycle de la vie ; on pense aux malades graves ou des personnes âgées qui apprécient qu’on les touche car ils se sentent reconnectés alors qu’ils entendent mal, voient mal, n’ont plus faim… 

 » Le toucher, à lui seul, favorise une réunion sans que mon cerveau ait besoin de s’en mêler. Dans la pratique du shiatsu, […] le toucher […] permet de prévenir avant de guérir, ce qui transforme la gestion de la douleur : sentir mon corps […], agir et bouger en conséquence, identifier, qualifier et percevoir les chocs heureux ou malheureux que chaque séance produit […]. Amener de la profondeur à ce toucher, moins tactile que pénétrant, enrichit la connaissance de cet organisme, de ses différentes composantes, des postures qu’il régit. Cette sensation est favorisée par le mouvement si petit soit-il. […] La dissociation [corps/esprit] est désamorcée. La douleur disparaît. 

Au début, les soins individuels d’une heure à Marseille sont espacés d’un mois car le praticien manque de disponibilité et parce que la distance qui nous sépare augmente mes trajets en voiture, ce qui appauvrit le traitement.  Il propose de venir dispenser ses soins à Néoules, à condition de réunir au moins six patients pour chacun de ses déplacements.  J’organise des rendez-vous groupés dont une dizaine d’habitants du canton, une très grande majorité de femmes, peuvent profiter. je fais l’inventaire des potentiels bénéficiaires, je prends contact, j’établis un planning de consultations, je prépare la salle. Surgit de rien un petit centre de santé doté d’une secrétaire enhardie : moi. 

 » [Il] se rend disponible une fois tous les deux mois. Chaque séance se déroule chez moi dans une pièce au premier étage dédiée à cet effet. Quand je ne suis pas en soin, je m’occupe de chacun des patients – très majoritairement des femmes –, en les accueillant une par une au rez-de-chaussée, avant et après leur séance, en discutant, en échangeant sur leurs différents problèmes physiques, émotionnels ou psychologiques (santé, famille, travail…). 

En septembre 2018, le petit centre de soin peut investir les salles communales car avec une autre Néoulaise, praticienne de réflexologie et d’autres techniques de massage, nous avons créé une association dédiée aux soins du toucher. S’ajoute à la ronde une enseignante-praticienne de Feldenkrais, une technique de micromouvement similaire à la gymnastique holistique que j’ai connue autrefois.

En février 2019, au détour d’une conversation avec le maire de Néoules, André Guiol, il est envisagé que la commune prenne financièrement en charge des soins non remboursés des malades en affection longue durée (ALD): une récente loi permet en effet aux collectivités territoriales de financer les prescriptions médicales relevant du sport-santé, ce qui est nommé les activités physiques adaptées ou APA. 

Fin mars 2019, soit un mois plus tard, le conseil municipal vote un budget spécifique ce qui permet à plusieurs patients de bénéficier d’une aide financière à hauteur de 50% des coûts des séances (shiatsu, Feldenkrais, réflexologie…). 

L’aventure se terminera avec le changement d’équipe municipale en août 2020. 

Depuis que mon diagnostic est posé, même si je mets en place ici et là des outils qui me permettent de résister plus que de m’adapter à la maladie, je suis confrontée à un contexte sanitaire et social qui multiplie les obstacles. Il reste encore beaucoup à faire concernant la prise en charge et la gestion de la fibromyalgie. 

QUE MANQUE-T-IL À LA PRISE EN CHARGE ET À LA GESTION DE LA FIBROMYALGIE ? 

Le système assurantiel recherche la rentabilité, ne reconnait pas la fibromyalgie en ALD, laisse les régions gérer la prise en charge éventuelle des soins, ce qui génère de fortes inégalités territoriales et l’augmentation des déserts médicaux c’est-à-dire des territoires où les habitants rencontrent des difficultés d’accès aux soins. 

La dispense d’APA, mise en avant par la Haute autorité de santé (HAS) et présentée par les unités de soin de la douleur comme la seule piste de soin, en est un bon exemple. 

 » Les APA […] dépendent de moyens financiers ou techniques faibles, de décisions politiques régionales ou départementales arbitraires, de personnels « pauvres ». […] En outre, ces activités ne peuvent être dispensées que par quelques secteurs professionnels spécifiques […]. Pour toutes ces raisons, […] la très grande majorité des patientes n’est pas informée de leur existence, n’est pas ou mal sensibilisée à leur intérêt dans la prise en charge de la maladie et n’est en rien consultée dans leur mise en place. 

Les élus des collectivités territoriales doivent être convaincus un par un pour que l’accès aux APA soit possible sans quoi les malades continuent à être écartées des soins qui leur seraient adaptés. Elles connaissent une toxicité financière qui aggrave leurs symptômes. On peut parler d’« effet secondaire » de la maladie : faute de moyens pour prendre en charge les frais non couverts par l’assurance maladie, la patiente ne peut plus suivre ces traitements. 

Côté médecine conventionnelle, la douleur se résume au mieux à un formulaire à renseigner à son admission à l’hôpital, dont les malades ne savent pas ce qu’il en sera tiré. Lorsque l’éducation thérapeutique des patients (ETP), une démarche d’apprentissage de la maladie, est mise en place, elle est souvent verticale (du professionnel de santé à la malade) et infantilisante, voire paternaliste : « on va vous aider » plutôt que « on va vous accompagner dans votre stratégie de résistance à la maladie ». 

L’algologie (soin de la douleur) est souvent considérée par le corps médical comme une « sous-médecine » (ex. du médecin-expert de la CPAM de Toulon). 

La fibromyalgie est considérée comme une pathologie secondaire, quand elle n’est pas totalement méprisée ou inconnue des médecins ; une étude sur les médecins traitants en PACA datant de trois ans isole trois catégories de points de vue : 1. la fybro n’existe pas, elle a été inventée par un lobby de médecins décidé à se faire du fric ; 2. la fybro est un fourre-tout ou une dépression ; 3. La fybro est connue mais laisse le médecin démuni. 

La recherche médicale néglige certaines hypothèses et répond à une stratégie qui ignore les savoirs acquis par les malades. Elle produit de l’ignorance, ce qu’on appelle l’agnotologie : elle cohabite avec des « préjugés » et « superstitions » perpétués par les médecins : les femmes sont animées par leurs « humeurs changeantes » ou par des formes d’« hystérie », se plaignent sans raison, s’inventent des maladies et imaginent les douleurs… Les fibromyalgiques entendent souvent : « vous savez, tout le monde a mal », « tout ça est dans votre tête », « vous êtes en bonne santé », « vous vous écoutez trop ». 

Côté médecine complémentaire, les efforts consentis lors des séances sont gâchés par 

  • les coûts des séances,
  • et les lacunes de la documentation des pratiques – les malades connaissent peu les différentes disciplines et leurs différents apports thérapeutiques (autres que le bien-être) – 

En outre, une majorité de praticiens méconnait la maladie, et l’hétérogénéité et parfois la faiblesse de leurs formations occultent l’importance de l’échange patiente/praticien. 

[Beaucoup d’]enseignants-praticiens […] intègrent [peu] la part  » « émetteur » de l’élève ou de la patiente et son interaction avec sa voisine. […] L’enseignant dispense la connaissance, le praticien exerce sa technique, sans que la notion de partage avec la personne qui reçoit ne soit jamais envisagée […]. L’empathie est là, très effective et marquée, mais à sens unique et pyramidale. Il est présupposé que la réceptrice n’a rien à donner en échange et ne peut rien apporter à l’apprentissage de l’émetteur. 

Dans tous les secteurs, conventionnel ou complémentaire, je suis, nous sommes, plus souvent consommatrice de soins qu’entrepreneure de ma santé. 

Par ailleurs, en tant que femme, je sens fortement le poids de l’absence de la prise en compte du genre, a minima les questions d’inégalités femmes/hommes, dans le soin des patientes et dans l’évaluation des pratiques. Parce que le secteur de la santé réduit la santé des femmes à leurs appareils de reproduction, je me sens en décalage. 

 » On parle plus aisément des « problèmes de “la” femme » dans le but de mieux cibler les « pathologies » qui leur sont associées comme la « gestion des cycles », l’endométriose, le passage à la ménopause, le cancer du sein ou encore la grossesse, toutes liées à la seule reproduction sexuelle. 

Par effet ricochet, la majorité des malades de la fibromyalgie parle peu ou est le plus souvent invitée à le faire au titre de victime. Elles ont honte, se sentent gênées, n’osent pas demander de l’aide, ne comptent que sur elles-mêmes. Elles se sentent coupables alors qu’elles n’ont pas fait exprès de tomber malade. 

Fort heureusement pour moi, grâce à mon expérience militante et professionnelle, j’ose discuter avec les praticiens et avec mon entourage proche ou moins proche. Et les retours positifs sont très souvent au rendez-vous. J’ai ainsi beaucoup appris et ce paradoxalement grâce à la maladie.  

QU’AI-JE APPRIS À TRAVERS L’EXPÉRIENCE DE LA FIBROMYALGIE ? 

L’expérience de la fibromyalgie m’a appris qu’une prise en charge spécifique est nécessaire à mon traitement. La relation avec la ou le praticien, de médecine conventionnelle ou complémentaire, doit non seulement être bienveillante mais bilatérale : j’ai besoin d’écoute, de temps, qu’on s’adapte à mon état, d’échanger sur cet état, au moment où la séance se déroule. J’estime que cet accompagnement représente 30% du soin, les 70 autres pour cent étant réservés à la technique de soin elle-même. Une étude récente montre que le temps consacré par les médecins à l’échange avec les patients est en moyenne de 17 secondes sur 20 minutes de consultation.

Cette connaissance acquise à travers l’apprentissage de la maladie est confirmée par des pratiques et conceptions du soin reconnues : 

  • l’Université des patients créée en 2009 à la faculté de médecine Pierre et Marie Curie par Catherine Tourette-Turgis, 
  • la Chaire de philosophie à l’hôtel-Dieu créée en 2016 par Cynthia Fleury ou encore le Centre Georges Devereux créé en 1993 par Tobie Nathan. 

Dans ces lieux, les questions de l’autonomisation, de la liberté, de la subjectivation et de la responsabilisation des patients sont centrales. La question de l’apprentissage sans fin des praticiens l’est autant. Ce qui compte : remettre l’égalité patiente/praticien au cœur du soin, autrement dit, renouer avec l’humanité dans le soin. Ce qui marche : identifier des patients-experts : il existe de diplômes, allant jusqu’au doctorat, qui valide l’expérience des malades, ce qui leur permet de participer à l’évaluation ou à la prescription de soins.

Pour finir, j’ai appris que sortir des schémas traditionnels des politiques de santé demande aux patientes, à leurs proches, comme aux professionnels un véritable engagement et beaucoup de créativité. 

Pour être accompagnées dans leur gestion de la maladie, les fibromyalgiques ont besoin que leurs proches ou moins proches : 

  • les écoutent
  • les croient
  • s’adaptent au temps qui leur est nécessaire pour se mettre en marche les 
  • soutiennent dans leur stratégie d’adaptation à la maladie 
  • prennent les devants, sans être intrusifs, quand il s’agit de contourner les obstacles du quotidien : un escalier sans rampe, un bruit excessif, des sièges inconfortables… 
  • apprennent de leur expérience d’handicapées, pour mieux appréhender la société pour valides dans laquelle nous vivons toutes et tous. Cela vaut pour la santé mais aussi le travail, les transports, l’urbanisme, l’éducation, la culture, le sport, la politique…

Pour faire basculer les politiques publiques, les malades ont besoin que les praticiens : 

  • fassent émerger une identité collective des malades plutôt que s’enfoncer dans une démarche d’individualisation comme inviter les malades à renforcer leur estime de soi, à travailler le lâcher-prise ou le deuil d’une vie antérieure qui serait révolue…
  • promeuvent la mise en mouvement (en conscience, sans dépassement de l’effort, hors enjeu de compétition) mais aussi le toucher (apprentissage du corps par le ressenti), 
  • s’adaptent à l’état, à la disponibilité et à la situation des patientes, 
  • mettent en lumière les expertises des malades, en tant que sources de connaissance. 

L’ensemble de ce que je viens de dire est extrait de ce livre publié en octobre 2021, « La douleur impensée », dans lequel je rends compte de mon expérience de la maladie. Je témoigne du combat que je mène au quotidien depuis trente-six ans et partage les réflexions que ce parcours m’a inspiré. 

J’y mêle :

  • autobiographie – un récit introspectif sur un parcours de santé difficile –, 
  • analyse du contexte sanitaire, mais aussi économique et politique, où ce récit prend place 
  • et manifeste pour des politiques sanitaires adaptées aux malades chroniques, et en particulier aux femmes qui en sont le plus affectées. 

J’ausculte les différentes phases de mon appropriation de la fibromyalgie, à savoir : 

  • créer son langage – il s’agit de nommer ce qu’on ressent car les contours de la maladie sont méconnus
  • la gérer – c’est-à-dire prendre à bras le corps cette maladie, tant auprès des professionnels de santé que de l’administration, car ce parcours est très long et difficile, ce qui demande de créer une sorte de petite entreprise autour des soins qui sont les plus adaptés 
  • la qualifier – en fait, il existe une différence entre ce qu’on ressent et ce que les autres perçoivent; cet écart d’interprétations qui se fait jour, ne s’apprend pas à l’école; aussi, si on ne veut pas rester dans sa bulle, il est nécessaire d’inventer un langage commun pour mieux échanger, se comprendre 
  • valoriser les savoirs acquis tant auprès de thérapeutes de différentes disciplines (médecine conventionnelle et complémentaire) que les savoirs accumulés à travers le vécu de la maladie. 

J’analyse des données médicales et sociologiques, 

  • je questionne les politiques de santé publique qui hiérarchisent les pathologies – dans la médecine conventionnelle, le cancer, les maladies cardio-vasculaires arrivent notamment en tête des priorités en termes de soins, de financement de la recherche, de moyens humains et financiers, 
  • j’interroge les soins réservés aux autres maladies chroniques – 32 sont reconnues en affection longue durée (ALD) par l’assurance maladie; il en existe bien d’autres dont la fibromyalgie qui ne fait pas partie de cette liste; aussi tous les soins ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie, ce qui crée des inégalités entre malades, 
  • je me demande pourquoi il existe des différences de prise en charge entre les femmes et les hommes car les unes et les autres ne sont pas égaux devant leurs problèmes de santé, ce qu’on nomme l’aveuglement de genre dans la santé. 

Les femmes, et en particulier celles en situation de pauvreté, ont moins accès aux soins que les hommes pour des raisons très diverses : manque de temps, gestion des priorités en faveur de l’aide aux autres (famille) plutôt qu’à soi, isolement (85% des familles monoparentales), inégalité de revenus avec les hommes ce qui rend les coûts médicaux plus lourds, précarisation de l’emploi, non recours aux aides sociales ou aux demandes de réparation, invisibilisation des maladies du travail, suivis médicaux moindres… Par ailleurs, les femmes sont exclues des essais cliniques, les diagnostics sont sous- orientés : la première cause de mortalité chez les femmes n’est pas le cancer du sein mais les maladies cardio-vasculaires ; elles en meurent plus souvent que les hommes, 56% contre 46%. 

Je montre que la médecine et les autres disciplines de soin créent de l’ignorance en la matière : parce qu’il existe encore de nombreux clichés et stéréotypes concernant les maux des femmes dont on considère qu’ils seraient liés à leurs hormones, à leurs chromosomes ou alors à leurs humeurs changeantes ou encore au stress… la recherche est limitée et par voie de conséquence la création de connaissances aussi. 

Je conclus ce livre par différentes pistes qui seraient à suivre pour envisager des soins les plus adaptés aux patientes. 

Je vous remercie. 

Joelle Palmieri – 24 juin 2022

Remerciements à Marianne Hélard et Isabelle Dostal de Sel’Issole et à la commune de la Roquebrussanne

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