L’Occident, un bon agent conservateur

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1993. Rachid Taha chante « Voilà, Voilà » et dénonce la montée du FN en France : « ca recommence ». 2014. J’emprunte ces mots au chanteur pour dire mon effroi : partout dans le monde « ça continue ». Fin 2018. Je cherche à lui rendre hommage pour sa grande liberté et je me dis que la meilleure façon de le faire est d’affirmer que nous avions tord : « ça n’a jamais cessé ».

En France, et plus largement en Europe de l’Ouest[1], en Amérique du Nord[2], mais aussi en Nouvelle-Zélande[3] et en Australie[4], c’est-à-dire en Occident, les conservateurs ont toujours veillé ou presque. La montée de l’extrême-droite – Suède, États-Unis, Allemagne… –, révèle un terrain fertile. Les dirigeants de droite, toujours plus nombreux dans cette zone géographique, en passant régulièrement des alliances avec les partis populistes et nationalistes en ont fait le lit et ont participé de cette déferlante. Les élans des électeurs en direction de ces mouvements, les actes racistes, homophobes, anti-IVG, sont moins à mettre au crédit de ces groupuscules ou partis politiques fascisants, qu’à celui d’une droite conservatrice et d’une gauche délétère. En Occident, la guerre se veut à droite, entre eux. Ce n’est pas nouveau.

Aujourd’hui, on assiste tant à une banalisation de la droitisation de cette partie du monde qu’à la scénographie du miroir aux alouettes qu’on nous tend. Les politiques pro-natalistes – durcissements des lois sur l’avortement, campagnes anti-mariage homosexuel – ou anti-immigration, les déclarations islamophobes des groupuscules d’extrême-droite ou des dirigeants de l’ex-bloc soviétique, incarneraient les épouvantails d’un Occident tolérant, antiautoritaire, progressiste, éclairé… Le danger viendrait de l’opposition aux valeurs « démocratiques de l’Ouest », comme le revendiquent les dirigeants de Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque – les quatre pays du « Groupe de Visegrad » –, fidèles à une stratégie made in Poutine. Loin s’en faut. Prenons le seul exemple de l’avortement. Entendu comme acquis, ce droit est maltraité un peu partout : fermeture des centres IVG, allongement des délais d’attente, faibles moyens alloués à l’information… Les offensives des prolife fonctionnent et en particulier celles des Églises (catholique, orthodoxe, protestante évangélique) qui parlent sans pudeur de « culture de mort »[5]. Le leurre est énorme.

À la veille des élections européennes en 2019, l’ouverture de la procédure européenne contre la Hongrie le 12 septembre dernier, toute symbolique qu’elle soit, témoigne de ce piège. La gauche, bien qu’à l’initiative de cette demande, brille par son absence des débats sur les réels enjeux politiques : opposer les idéologies libérale et populiste dans le but de mieux faire progresser la première. Imposer à tout prix le capitalisme comme une norme et avec lui, désormais, la mondialisation, l’occidentalisation. Produire des cadres patriarcaux en masse et alimenter les idéologies adaptées. Oui, en Occident, les inégalités sociales augmentent et sont invisibilisées. La violence continue de s’exporter à la périphérie, à l’image de la période coloniale. La militarisation des sociétés progresse. Les dominations de classe, de race, de sexe s’aiguisent. La peur s’instrumentalise. Voilà, voilà…

Joelle Palmieri
13 septembre 2018

[1] Les partis d’extrême-droite sont au pouvoir en Autriche, Italie, Hongrie et Suède (au sein de coalitions de droite) – seuls deux pays européens ne connaissent pas de mouvement d’extrême droite : le Luxembourg et l’Irlande. Leurs obsessions : nationaliste, sécuritaire (fermeture des frontières, contrôle des étrangers, renforcement des forces armées…), homophobe, anti-avortement, chrétienne.

[2] Chacun dans son style, Trudeau au Canada et Trump aux États-Unis, accompagnent le libéralisme d’un clivage politique classique, qui laisse la part belle aux suprématistes, racistes et prolife.

[3] À l’issue des élections législatives du 23 septembre 2017, le leader du parti populiste et anti-immigration, Nouvelle-Zélande d’abord (NZF), a récupéré son titre de Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

[4] Suite aux élections fédérales du 2 juillet 2016, le chef du parti libéral, anti-mariage homosexuel, anti-immigration, est reconduit dans ses fonctions de Premier ministre.

[5] En Europe, cet été 2018, un état des lieux du droit à l’avortement a été dressé : https://entreleslignesentrelesmots.files.wordpress.com/2018/08/avortement-en-europe-2018.pdf.

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