Covid-19 : budgets et méthodologies sexistes

serge D’ignazio

En France, les politiques budgétaires et méthodologies comptables poursuivies par le gouvernement depuis 2017 connaissent des impacts inégalitaires forts entre femmes et hommes, tant au niveau du travail que de la santé.

Commençons par le travail.

Beaucoup a été écrit sur cette question. Je m’intéresserai ici aux impacts des arbitrages budgétaires. Inscrits dans le Projet de loi de finances 2020[1], la loi santé, adoptée par le Parlement le 16 juillet 2019 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)[2]pour 2020, adopté le 3 décembre 2019, montre des disparités importantes entre santé et défense.

En voici un extrait :

En 2020, le budget de la santé représente 3,03% du budget de la Défense. Il baisse de 2,2% par rapport à 2019 et de 6,1% d’ici à 2022[3], alors que pour la même période celui de la Défense augmente de 13,25%.

Le PLFSS prévoit de limiter la hausse des dépenses de sécu (ONDAM) à 2,3% en 2020 et ce jusqu’en 2023 (2,5% en 2019). Les 4,2 milliards d’euros qui manquent se traduiront par des coupes budgétaires[4]. En particulier, les dépenses du secteur hospitalier vont baisser (hausse limitée à 2,1% contre 2,3% en 2019), ce qui représente une coupe de 800 millions d’euros (budget plafonné à 84,2 milliards d’euros)[5].

Sachant que :

  • la féminisation des métiers de la santé est croissante : 44,3% de femmes parmi les médecins en 2015[6],89% parmi les infirmiers et les sages-femmes, 93% dans les métiers liés à la santé et l’action sociale en 2014 (aide à domicile, aide ménager, assistant maternel, aide-soignant et parmi elles une très grosse proportion de femmes racisées ou qui vident les services médicaux d’Afrique et d’ailleurs, non visibles dans les statistiques), 76% dans les professions paramédicales[7] ;
  • les métiers de la défense sont massivement occupés par des hommes : en 2018, les femmes représentent 15,5% des effectifs militaires et 38,4% des effectifs civils des armées, soit au total 20,7% des effectifs[8] ;

ces arbitrages budgétaires affectent très négativement le travail des femmes et profitent aux hommes.

 

Poursuivons par la santé.

En France, le 13 avril 2020, sur les 9 588 décès liés au Covid-19 constatés à l’hôpital, 57,8% sont des hommes[9] ; sur les 5 379 constatés en EHPAD, 75% sont des femmes (en proportion des résidents de ces établissements)[10].

Au niveau mondial, les médias, les scientifiques et les dirigeants politiques s’attardent sur la grande proportion d’hommes qui décèdent en raison de la pandémie. Selon le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, les hommes représentent 63,8% des décès[11]. En Suisse, cette proportion atteint 63,5%, en Espagne, 65%, en Italie, 71%[12].

Nombre d’explications sont apportées pour justifier cette disparité. Concernant les hommes, le registre employé est plutôt médico-social alors que pour les femmes il est biologique. Une des hypothèses avancées est que les hommes sont davantage malades de bronchite ou d’hypertension, ou encore consomment davantage d’alcool ou de cigarettes, se lavent moins bien (cette dernière remarque pourrait s’appliquer aux enfants qui ne sont pas davantage touchés). Les femmes seraient moins affectées à cause de leurs œstrogènes ou de leurs chromosomes (deux X contre un chez les hommes) qui stimuleraient leurs réflexes immunitaires[13].

Cette biologisation est contredite par les faits : les femmes représentent 52,4% des personnes infectées[14]. En particulier, au sein des professionnels de santé (15,5% des malades), les femmes sont plus de deux fois plus touchées que les hommes (21,7% contre 9,5%)[15]. Pourtant ces chiffres ne se répercutent pas à l’identique en termes de morbidité.

Ce paradoxe s’explique peut-être par la méthode comptable utilisée qui ne tient pas compte des inégalités produites par les rôles sociaux de genre. Or, les femmes, et en particulier celles en situation de pauvreté, ont moins accès aux soins pour des raisons très diverses[16] : manque de temps, gestion des priorités en faveur de l’aide aux autres (famille, mari, enfants, proches) plutôt qu’à soi, isolement (85% des familles monoparentales), inégalité de revenus avec les hommes ce qui rend pour elles les coûts médicaux plus lourds, précarisation de l’emploi, non recours aux aides sociales ou aux demandes de réparation, essais cliniques davantage pratiqués sur des hommes[17], suivis médicaux moindres…

Par ailleurs, si les malades qui meurent chez eux ou dans la rue étaient comptabilisés dans les bilans officiels de l’épidémie, la lecture des chiffres femmes/hommes pourrait changer : en mars 2020, la mortalité à domicile a augmenté de 9,8% toutes causes confondues par rapport au même mois de 2019, avec des pics à 44% en Île-de-France et 32% dans la région Grand-Est, régions par ailleurs durement frappées par le coronavirus[18]. Ensuite, les femmes développent davantage de pathologies connexes liées à la charge psychosociale ou émotionnelle qui pèse sur elles. Enfin, elles sont plus susceptibles d’être victimes de violences sexuelles voire de féminicides. Des pistes à suivre pour nuancer les statistiques officielles ?

Joelle Palmieri
15 avril 2020

 

 

 

[1]Projet de loi de finances 2020, Baisser les impôts, préparer l’avenir – 2020, Ministère de l’Économie et des Finances, 27 septembre 2019, http://performance-publique.budget.gouv.fr.

[2]Assemblée nationale, projet de loi de financement de la sécurité sociale, http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2296_projet-loi

[3]Audrey Tonnelier, « Budget 2020 : la santé et l’écologie, principales cibles des suppressions de postes », Le Monde, 13 septembre 2019, https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/13/budget-2020-la-sante-et-l-ecologie-principales-cibles-des-suppressions-de-postes_5509701_823448.html#xtor=AL-32280270.

[4]Sénat, Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, https://www.senat.fr/rap/a19-103/a19-1035.html.

[5]ONDAM et dépenses de santé, PLFSS 2020, Annexe 7, https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLFSS/2020/PLFSS-2020-ANNEXE%207.pdf.

[6]“Women make up most of the health sector workers but they are under-represented in high-skilled jobs”, http://www.oecd.org/gender/data/women-make-up-most-of-the-health-sector-workers-but-they-are-under-represented-in-high-skilled-jobs.htm.

[7]Insee, « La féminisation gagne les métiers les plus qualifiés, à dominance masculine », https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281466.

[8]Ministère des Armées, Les chiffres clés de la défense – 2019, 28 août 2019.

[9]« Pourquoi le coronavirus tue-t-il plus les hommes que les femmes? », Huffington Post, 1eravril 2010, https://www.huffingtonpost.fr/entry/pourquoi-le-coronavirus-tue-t-il-plus-les-hommes-que-les-femmes_fr_5e845448c5b6871702a73320.

[10]« 728 000 résidents en établissements d’hébergements pour personnes âgées en 2015 – Premiers résultats de l’enquête EHPA 2015 », Drees, Études et résultats, n° 1015, juillet 2017, https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/61794/1/er1015.pdf.

[11]« Coronavirus : les femmes plus résistantes que les hommes? », TV5Monde,9 avril 2020, https://information.tv5monde.com/terriennes/coronavirus-les-femmes-plus-resistantes-que-les-hommes-354632.

[12]Ibid.

[13]Ibid.

[14]Ibid.

[15]« Pourquoi le coronavirus tue-t-il plus les hommes que les femmes? », op.cit.

[16]               Danielle Bousquet, Geneviève Couraud et Gilles Lazimi, Margaux Collet, « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité », Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes,Rapport n° 2017-05-29-SAN-O27 publié le 29 mai 2017, http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_la_sante_et_l_acces_aux_soins_une_urgence_pour_les_femmes_en_situation_de_precarite_2017_05_29_vf.pdf, consulté le 27 mars 2019 ; Anne-Marie Thomazeau, « Santé : inégalités importantes entre les hommes et femmes », Viva Magazine,avril 2015, https://www.vivamagazine.fr/sante-inegalites-importantes-entre-les-hommes-et-femmes-170758, consulté le 10 mai 2019.

[17]               Rozenn Le Saint, « Les femmes, premières victimes des récents scandales sanitaires », Mediapart,29 mai 2019, https://www.mediapart.fr/journal/france/290519/les-femmes-premieres-victimes-des-recents-scandales-sanitaires?utm_source=article_offert&utm_medium=email&utm_campaign=TRANSAC&utm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&M_BT=109679374191, consulté le 30 mai 2019.

[18]Insee, « Covid-19 », https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/carte-et-donnees ; « Nombre de décès quotidiens par département », https://www.insee.fr/fr/information/4470857.

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