Covid-19 : les seigneurs revisitent la basse-cour

Résumons-nous. En France, après l’instauration le 14 octobre 2020 d’un couvre-feupour gérer la crise sanitaire, le gouvernement décide, le 30 courant sans consultation du Parlement, le retour à un confinement national, ouvrant cette fois l’accès au travail, à l’école, aux maisons de retraite et aux supermarchés, mais toujours pas aux commerces de proximité, aux lieux culturels, de loisirs ou sportifs (hors professionnels et chasseurs[1])… et interdisant tout déplacement d’une région à l’autre. En même temps, des projets de loi sont examinés. Arrêtons-nous sur trois d’entre eux. Le premier, le 4ePlan de loi de finances rectifié (PLFR)[2], adopté le 4 novembre par le Conseil des ministres, répond à « l’urgence économique ». Le deuxième, présenté le 22 juillet en Conseil des ministres, adopté par l’Assemblée nationale le 23 septembre, en partie amendé par le Sénat le 28 octobre, concerne l’enseignement supérieur et la recherche[3]et le troisième, présenté à l’Assemblée nationale le 20 octobre, puis examiné le 4 novembre, porte sur la « sécurité globale »[4].

Le 4ePLFR prévoit le déblocage d’une enveloppe de 20 milliards d’euros essentiellement prélevée dans les caisses de l’aide publique au développement, de la santé, de l’éducation, de la justice, de l’enseignement supérieur – la ligne budgétaire de la Défense est inchangée.

La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) envisage des « contrats de mission » en lieu et place du statut de fonctionnaire, des postes de professeurs assistants temporaires, la suppression de la qualification CNU, bref un arsenal de mesures visant l’économicisation du secteur. Ce choix est accompagné d’une chasse aux sorcières dont l’État doit, selon le ministre de l’Éducation fort inspiré par les thèses de l’extrême-droite, se méfier pour cause de « complicité » avec les entrepreneurs terroristes (islamistes) et de distance avec les « valeurs de la République » (l’« islamogauchisme »).

La loi « sécurité globale » préconise la dérégulation de l’utilisation des caméras mobiles portées par les forces de l’ordre, la surveillance par drone, l’interdiction de diffuser l’image de policiers… Cette approche d’une « sécurité sans contact » à la Chinoise a pour triple logique d’augmenter les profits des entreprises d’armement, de restreindre les libertés et de banaliser le renforcement de l’État policier.

Cette avalanche de mesures gouvernementales et de votes de lois rappelle étrangement la féodalité. Au XIIIe siècle, les seigneurs construisaient des châteaux forts à double enceinte, la haute et la basse-cour. Cette deuxième zone « protégeait » leurs « sujets » et leurs animaux des guerres, en échange d’une interdiction de sortie, du paiement du « cens » et des « banalités » (des impôts ouvrant à des « services publics ») et de la « corvée seigneuriale », un travail non rémunéré visant l’enrichissement de la propriété. La domination souverain/serfs était instituée et peu contestée sous peine d’enfermement, d’expulsion ou de mise à mort. Cette forme de gouvernement, autrement appelée « oligarchie », pour laquelle une classe dominante resserrée bénéficie de privilèges étendus – dont celui de rendre la justice – et décide du sort des populations, s’est illustrée à de nombreuses reprises et en divers lieux au cours de l’Histoire. Ne devrions-nous pas rappeler que cette gestion du pouvoir, pour le moins inégale, très éloignée de l’idée de bien commun, est clientéliste, instable, peu démocratique ?

Aujourd’hui, sur le territoire français, seules les personnes qui travaillent ou qui accompagnent les enfants et les personnes âgées (très majoritairement des femmes) ont le droit de circuler à l’intérieur de la basse-cour nationale. Seuls les seigneurs, motivés par une conquête exclusive du pouvoir (débarrassé de ses idéologues extrêmes) décident, parfois sans l’aval de la haute-cour et jamais avec l’avis de la basse-cour et des exclus (chômeurs, retraités, SDFs, handicapés, malades chroniques, détenus, immigrés, réfugiés, clandestins, femmes au foyer), des mesures de « protection » sanitaire ou sécuritaire des populations, de leurs droits à penser et des moyens financiers pour y parvenir.

L’Histoire nous apprend que des révoltes ou révolutions ont fait tomber ces systèmes politiques féodaux. Aussi les serfs d’aujourd’hui et leurs forces de contestation (contre les lois notamment) vont-ils réussir à déconstruire les dominations croisées (race, classe, genre) et édifier des alternatives collectives aux crises sanitaire et guerrière ? Vont-ils convaincre de l’iniquité des théories sur les guerres de religion et opposer une analyse historicisée et contextualisée des relations entre Occident et autres pays du monde (périphérie) ? Vont-ils inquiéter les poujadistes et complotistes, contreproductifs voire transportés par les mêmes jeux de soumission ? Vont-ils informer des stratégies d’enrichissement financier des instigateurs de ces politiques ? Seuls les occupants de seconde zone et du no man’s land peuvent répondre.

 

Joelle Palmieri
5 novembre 2020

 

 

[1]https://www.ecologie.gouv.fr/berangere-abba-precise-conditions-dexercice-chasse-pendant-confinement.

[2]http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3522_projet-loi.

[3]http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_projet-loi.

[4]http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi.

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