Je rencontre Ange en mars 2014, lors de la préparation des élections municipales. Une amie, militante antilibérale, mène campagne contre le maire sortant de Méounes. Avec elle, sur la liste « Réinventons Méounes ensemble », Michel, un militant « de gauche ». Ils organisent un Forum citoyen dans l’espoir de convaincre de la pertinence de la démocratie participative. Bien que j’habite Néoules, le village voisin, ils me proposent de jouer le rôle d’une des rapporteuses. Ce que j’accepte volontiers. À la pause, entre deux morceaux de pizza et un verre d’eau gazeuse, j’échange deux-trois mots avec Michel et nous évoquons mon passé politique. Les Forums sociaux, les coopératives, l’autogestion… Il s’emballe et avec un regard vif exprime son envie fulgurante de me faire rencontrer son père. Sans m’en dire plus. Il est parmi nous. Dans la foule, un vieil homme se dégage et vient vers moi. Souriant. Charmeur. Élégant. La chemise impeccable. Avec un accent espagnol à couper au couteau, il me parle, exalté de cette opération participative. D’emblée il établit le lien avec la Libération de Paris par les républicains espagnols, dont personne ne saurait qu’ils étaient en ligne de front de la division Leclerc… Nous décidons de nous revoir. Pour qu’il fasse œuvre de mémoire.
Un peu plus tard, c’est le tour de René. « Il faut absolument que je te présente ce monument de Sainte-Anastasie ». Dans l’antre de la coopérative vinicole de Sainte-Anastasie, réhabilitée en salle d’exposition, une élue m’entraîne en dehors, par le bras, vers un monsieur trapu assis sur le rebord infinitésimal du muret qui longe le chemin qui s’avance vers le lieu patrimonial. Une aventure s’annonce. Un verre de rosé à la main, René Jacolot-Benestan tourne et lève sa tête vers moi et me sourit. L’entremetteuse fait son travail et s’éclipse. La machine se met en route. Le vieil homme me décline en vingt minutes, avec un accent provençal très prononcé, sa vie, comme il dit. « Quelque chose de difficilement croyable finalement ! ». Il souligne à quel point elle est « curieuse » et pleine d’« antagonismes ». « Curieux ». « Antagonismes ». Ces mots vont désormais guider nos échanges.
Le nom de Jeanne Lefebvre vient rapidement et de toutes parts à mes oreilles quand je commence à parler de ce projet de recueil de portraits en mars 2014. « Il faut absolument que tu interviewes la mère de Sylvie » ou bien « elle est formidable, c’est la fille de l’instituteur Ducret ». Une introduction de taille. Car par sa fille et par son père, cette femme se distingue. À Méounes mais aussi à La Roquebrussanne. Avec cette femme que je ne connais pas encore, je suis en somme au cœur du Val d’Issole. Je ne peux me permettre de la louper. J’attendrai qu’elle revienne de la région parisienne où elle demeure pour la rencontrer en fin d’année 2014.
Germaine. Ce prénom est vite prononcé quand j’évoque dans le village où j’habite, Néoules, l’idée de tirer le portrait d’anciens. Pour leurs savoirs, leurs valeurs, leurs expériences, leur vision du patrimoine local. Celui du Val d’Issole. Je ne la connais pas, ne l’ai jamais croisée. On me dit qu’elle ne sort plus. Sa fille, Yvette Cannizzaro, conseillère municipale, a bien voulu jouer les entremetteuses. Je la rencontre ainsi pour la première fois le jour de notre entretien. Et me rend compte par la même occasion qu’elle habite à une centaine de mètres de chez moi. La maison aux volets verts, m’avait indiqué Yvette.
Et puis, tout Néoules connaît Jeannette. Elle tient l’épicerie appelée le « Coin du four », au cœur du village. Sa notoriété est accompagnée d’une immense sympathie, qu’elle renvoie sans détour dès qu’on franchit le pas de son magasin. Jeannette m’a toujours offert de larges sourires. Quand je lui ai proposé ce portrait, le contexte de sa publication, elle a hésité. Elle a évoqué la possibilité de le coordonner avec celui de Mme Guiol. Le rendez-vous a été long à prendre : ennuis de santé, vacances diverses, ont fait reculer le jour de la rencontre. Sa fille, Claude, l’a peut-être décidée à franchir le pas et à organiser le rendez-vous. J’attendais ce moment avec impatience.
Mme Guiol. Je n’osais y croire. Mère du maire en exercice de Néoules, cette femme dont je connaissais l’existence mais à peine le profil m’est pour ainsi dire imposée par Jeannette, l’épicière, la tenancière du « Coin du four », la mère de sa belle-fille. Sans avoir essayé de l’atteindre, je me vois donc comblée : je rencontre une des filles du pays. De plus, je me régale à l’idée de pénétrer cet endroit magique, lieu de son habitation : le château. Au cœur de village, là encore à quelques pas de chez moi.
Impossible d’éviter par ailleurs Mme Feuillère. Devenue une vedette à Néoules. Centenaire. Je suis introduite par une conseillère municipale, en charge de la vie des Seniors. Je rencontre donc pour la première fois Jeanne Feuillère, un lundi après-midi à la Salle polyvalente, là où s’organisent toutes les semaines, et pour les anciens, des jeux de société : belotte, tarot, scrabble. Elle est une habituée. Ponctuelle. Elle accepte volontiers mon invitation à nous entretenir et m’indique précisément son adresse au village. À deux pas de la mairie, en descendant la Calade, à droite.
Plus tôt, un 1er mai du début des années 2010, j’achète des cadres anciens à une dame aux cheveux bouclés et poivrés dans les rues de Néoules. Je déambule à travers le traditionnel vide-grenier du village et je viens d’acquérir pour presque rien des souvenirs de celle dont j’apprendrai un peu plus tard qu’elle est la mère de mon voisin. Janine Gast. Le début d’une rencontre, pleine de charme. On se croise régulièrement lors des festivités locales, échangeons quelques mots, voire plus, toujours avec goût et plaisir. Un jour où nos conversations seront plus élaborées, nous découvrirons que nos vies auraient pu se croiser. Un signe.
Joelle Palmieri
11 septembre 2015